Le 16 mai 2018, j’ai eu le plaisir d’intervenir au dîner des communicants politiques, organisé par le Cercle des communicants francophones, sur le thème de l’humour en politique.
Voici mon intervention un peu remaniée afin d’être plus lisible. Elle comporte essentiellement des exemples d’humour en communication politique, pas de satire ni de parodie. Ni Canard Enchaîné centenaire ou de feu Les Guignols de l’info, enterrés par Bolloré.
Or discours, j’ai plutôt tendance à penser que l’humour volontaire est assez récent dans la communication officielle.
Tout d’abord parce que c’est casse-gueule et que la politique c’est sérieux. Mes exemples ne remonteront donc que sur quarante années, encore qu’on aurait pu parler du surnom dont Lecanuet s’est trouvé affublé à l’élection présidentielle de 1969, à cause de ses dents apparentes : Colgate ou Dents blanches. Mais l’humour était là involontaire !
La base de l’humour en politique, c’est la petite pointe d’humour en début de discours pour attirer l’attention et ensuite dérouler le sérieux, un jeu auquel Mitterrand excellait avec beaucoup d’autres orateurs. C’est la pique, le trait d’esprit, récompensée depuis 1988 par le prix de l’humour politique, décernée aussi bien à des phrases à l’humour volontaire ou involontaire.
Par contre aller chercher l’humour consciemment est très délicat, et c’est souvent mal vu au plus haut sommet.
Quand le bon mot passe mal
Les petites phrases de Hollande, appréciées quand il était premier secrétaire du PS, sont devenues insupportables ou très critiquées dans le cadre de sa fonction de président.
Il a d’ailleurs eu un Grand prix de l’humour politique en novembre 2017, pour les phrases suivantes que je vous copie-colle, car il faut reconnaître qu’il était drôle (il l’est toujours en fait) :
- « Aujourd’hui, je suis à deux doigts d’être aimé ! »
- « Toutes les décisions que je prends, je les prends seul avec moi-même, dans un dialogue singulier »
- « Heureusement que le Canard Enchainé est un hebdomadaire et pas un quotidien sinon imaginez où on en serait avec Fillon »
- « Je salue Christiane Taubira… Sa voix peut porter, même quand elle ne dit rien »
Autre exemple d’humour au sommet mal pris, l’humour de Macron, avec le kwassa-kwassa comorien, un trait d’humour mal reçu (à raison, et pas seulement à cause de son statut de président de la république).
Pour rappel : “le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien”
Au Québec, un trait d’humour très mauvais en février 2018 a valu une tempête médiatique à Jean-Francois Lisée, chef du Parti québécois (le PQ, des initiales compliquées en France) pour une réflexion sur la moustache de Manon Massé, une porte parole de Québec solidaire.
Un humour PMU qui est très mal passé et qui a conduit Lisée à produire une longue lettre d’excuse sur Facebook, où il reconnait que c’était déplacé.
Ce qui est intéressant c’est qu’il explique que la moustache de Manon Massé, elle la revendique en tant que militante féministe lesbienne. Mais ce n’est pas forcément su de tout le monde, et c’est le problème du contexte, important en humour. Mais en politique, où on s’adresse au plus grand nombre, cela peut être destructeur.
En campagne c’est compliqué
En campagne, l’humour militant est plutôt rare, car l’humour implique un recul sur son sujet, une mise à distance. Quand il est tenté, c’est rarement bon, car l’humour doit être sans but, sans leçon. Et militer c’est vouloir convaincre, convaincre par l’humour est plus difficile que d’asséner un argumentaire.
Le Parti socialiste a essayé l’humour en 1986 pour les élections législatives, avec un résultat que l’on peut qualifier de plutôt mitigé.
Le RPR a aussi tenté l’autodérision après 1997 (et un problème de droit avec Uderzo en a résulté, puisque le parti avait utilisé une image d’Astérix sans demander).
Mais avec l’explosion des réseaux sociaux et la relative perte de contrôle de la communication par les états majors, avec en plus la nécessité de toucher des gens éloignés de la politique mais présents sur les réseaux sociaux, on assiste à des tentatives, pour buzzer, pour être viral.
Voici deux exemples qui commencent à dater et aux réussites relatives.
Lambert Wilson pour Europe Écologie en 2009 : ça marche parce que c’est bien joué et que le ton n’est pas sentencieux
Deuxième exemple, mais à l’humour involontaire : le lipdub des Jeunes Pop avec Benjamin Lancar, 2010, qui s’est avéré être un naufrage de communication politique (malgré un impact médiatique non négligeable !).
Plus récemment, voici l’exemple d’un bon rattrapage d’une équipe d’un candidat dépassé par les effets d’une seule photo sur Twitter.
Lors des législatives de 2017, Jean-Christophe Cambadélis lance sa campagne avec des discours de rue, au plus près de sa circonscription parisienne. Malheureusement, les photos publiées par son équipe sur son compte Twitter le montrent quasiment seul sur une palette rouge.
Fait rare, l’équipe autour du socialiste a tenté d’en jouer, en créant un compte Twitter au nom de la palette, reprenant les détournements et informant de la campagne par ce biais. Un geste audacieux qui n’aura toutefois pas suffi à Cambadélis pour se qualifier au second tour.
Puisque l’on parle de Twitter, comment ne pas évoquer un habitué de l’humour sur ce réseau social : Benoît Hamon, qui sans se forcer pratique la blague en 140 280 signes. Que ce soit pour poster une photo de kebab dans sa barquette polystyrène ou son vague à l’âme un soir de défaite historique aux européennes de 2009 (oui, déjà).


Les Insoumis, meilleure campagne de l’humour
À ce jour, une seule campagne d’ampleur a su jouer avec les codes de l’humour : celle de Jean-Luc Mélenchon, qui a su profiter de sa popularité et des effets de levier des réseaux sociaux.
Nous avons l’exemple d’une communication à la fois spontanée et maîtrisée, qui manie bien les codes du web : le jeu vidéo, les montages façon forum 18-25 de jeuxvideo.com… sans oublier la chaîne Youtube construite dans la durée (même si elle n’est pas drôle du tout).
Trois éléments sont essentiels à cette réussite :
- La reprise des codes de communication ;
- La spontanéité, nécessaire dans l’univers actuel de la communication digitale ;
- Le relais de la communauté, assuré tout simplement parce qu’elle consomme autant qu’elle produit.